Ce projet de recherche envisage d’observer la façon dont les sociétés pré/proto-industrielles ont apprivoisé l’eau – en tant que ressource naturelle à usages multiples – et ont (a)ménagé les milieux littoraux dans le temps et l’espace, en fonction des aléas et des contraintes qu’elle imposait. Il s’inscrit clairement dans une démarche historique et rétrospective et prend le parti de se détacher de la notion de progrès généralement portée par l’historiographie. Les questions d’usages, de conflits et d’échecs sont privilégiées, afin d’observer la complexité des relations qui s’établissent autour des projets d’aménagements littoraux. Cette démarche a vocation à faire émerger des questionnements oubliés, afin d’enrichir la connaissance des relations entre une société humaine et son milieu.
Le territoire du Marquenterre (Hauts-de-France), touché ces derniers temps par de fortes crues et inondations, est choisi comme terrain expérimental et exploratoire des potentialités de cette recherche. Il semble répondre à des problématiques d’aménagements croisées (dessèchement, adduction, fixation dunaire, navigation, équipement portuaire…), et être le témoin d’une opposition franche entre savoirs exogènes et pratiques locales.

Anonyme, Plan du Marquenterre, partie du Ponthieu […] (détail), v. 1790-1800, Plume, encre et aquarelle, 94,5 x 232 cm, Archives départementales de la Somme, RL343.

Présentation détaillée

Ce projet est envisagé comme un prolongement des travaux historiques sur la fabrique de la ville et du territoire menés par plusieurs chercheurs ayant œuvré au sein de l’IPRAUS, particulièrement ceux consacrés aux infrastructures hydrauliques[1]. Il s’inscrit dans les questionnements portés par les membres des axes « Cultures, savoirs, médiations et productions architecturales » et « Territoires et paysages en transition(s) ».

 

Approches/méthodes

L’objectif est d’observer la façon dont les sociétés pré/proto-industrielles ont apprivoisé l’eau – en tant que ressource naturelle à usages multiples – et ont (a)ménagé les milieux littoraux dans le temps et l’espace, en fonction des aléas et des contraintes qu’elle impose.

La posture se détache de la notion de progrès qui a longtemps pu orienter l’historiographie[2]. Sans remettre en question l’importance des apports scientifiques et techniques, il est envisagé de décaler le regard sur ces objets ambigus – incarnation des cycles naturels et de l’action anthropique – dans l’intention d’apporter des pistes de réflexions aux enjeux actuels liés à leur entretien, leur valorisation, leur adaptation, leur mutation ou leur disparition.

Pour ce faire, les questions concernent « non seulement les savoirs mais aussi la façon dont ils sont mis en œuvre dans un contexte donné et […] pondent à des demandes de natures politiques, économiques, sociales et/ou culturelles »[3] pour reprendre les propos de Patrick Fournier. En cela, la démarche se rapproche du concept d’« hydro-histoire » porté par plusieurs chercheurs depuis une vingtaine d’années[4].

Dans ce cadre, quelques angles d’approches paraissent féconds :
> les usages : la superposition et l’imbrication des usages découlant de ces aménagements dévoilent des attitudes raisonnées face à la ressource et son écosystème, postures propres aux sociétés humaines des périodes pré et proto-industrielles.
> les conflits : l’étude des acteurs, des intérêts individuels et collectifs, des rivalités et des conflits qui en émanent parfois, révèlent des postures culturelles, politiques et idéologiques contradictoires qui nourrissent les questionnements actuels.
> les échecs : l’histoire des projets, leurs évolutions dans le temps entre le moment où ils sont pensés, dessinés puis abandonnés donnent une matière à penser parfois bien plus riche que ceux ayant aboutis.

Ces notions doivent permettre d’articuler les approches scientifiques complémentaires des deux porteurs : Solenn Guével s’attache aux logiques territoriales qui déterminent ces aménagements, ainsi qu’aux démarches de conception et de mise en œuvre des projets ; Yvon Mullier-Plouzennec porte quant à lui une attention particulière aux réseaux d’acteurs et à leurs fonctionnements, ainsi qu’à la circulation des savoirs.

 

Terrains d’études

Les terrains d’études envisagés peuvent aussi bien être des espaces métropolitains, des villes moyennes, que des territoires partiellement ou non-urbanisés. Il est proposé de s’attacher aux relations qui s’établissent entre ces derniers à l’échelle nationale et locale. Cette approche, permettant d’imbriquer des considérations spatiales et humaines, a vocation à être développée de manière systémique à moyen ou long terme. Bien que les terrains d’études prospectifs portent principalement sur la France, une ouverture sur d’autres territoires du continent européen n’est pas exclue.

Le territoire du Marquenterre (Hauts-de-France), touché ces derniers temps par de fortes crues et inondations, est choisi comme terrain expérimental et exploratoire des potentialités de cette recherche. Il semble répondre à des problématiques d’aménagements croisées (adduction, dessèchement, fixation dunaire, navigation, équipement portuaire…), sur le temps long, au gré des bouleversements politiques, révélant des conflits d’acteurs, à l’échelle locale, mais aussi avec la capitale. Il semble particulièrement être le témoin d’une opposition franche entre savoirs exogènes et pratiques locales.

 

Positionnement scientifique et institutionnel

Ce projet de recherche s’inscrit clairement dans une démarche historique et rétrospective. En cela, il se veut complémentaire des programmes prospectifs en œuvre au sein de la chaire partenariale « Le littoral comme territoire de projets » (équipe OCS) et de la chaire « Architectures de l’eau » (équipe ACS). Le positionnement historique affirmé vise également à renforcer les liens de l’IPRAUS avec des départements universitaires d’histoire, d’histoire de l’art, d’histoire de la construction, d’histoire des techniques, d’histoire de l’environnement, etc. Conçue dans une volonté d’ouverture interdisciplinaire, cette démarche de recherche rétrospective entend favoriser un dialogue nourri avec les enseignements de séminaire, de studio, de PFE et de DSA.

 

NOTES

[1]  Notamment ceux de Pierre Pinon, de Michèle Lambert-Bresson, Pierre Micheloni.

[2]  Cette posture s’appuie sur la vision qu’Antoine Lilti met en œuvre dans le domaine de l’histoire des idées : « Nous devons envisager les Lumières comme un espace de débats et de controverses, bien davantage que comme une doctrine cohérente. Trop souvent, on a voulu y voir le programme de la modernité, selon une perspective idéaliste où les idées précèdent les transformations sociales et politiques. » (Antoine Lilti, Actualité des Lumières : une histoire plurielle : Leçon inaugurale prononcée au Collège de France le jeudi 8 décembre 2022, Paris : Collège de France/Fayard 2023, p. 8 [en ligne : https://doi.org/10.4000/books.cdf.15413]). Le constat qu’Arnaud Orain établit dans le domaine de l’histoire des sciences est également mobilisé : « En ce début de XXIe siècle, il existe en effet une autre manière de réfléchir aux savoirs économiques. […] Rendue possible par la fin du grand récit de la Révolution scientifique, elle étudie les savoirs de lAncien Régime pour eux-mêmes, comme des entités propres et indépendamment de ce quils purent léguer ultérieurement » (Arnaud Orain, Les savoirs perdus de l’économie. Contribution à l’équilibre du vivant, Paris : Gallimard, 2023, p. 11).

[3] Patrick Fournier, « Les leçons d’une hydro-histoire : quelques pistes de réflexion », Siècles, 42, 2016, §4 [en ligne : https://doi.org/10.4000/siecles.2970].

[4]  Notamment : Guy Lemeunier, « Quelques leçons d’une hydro-histoire. Le royaume de Murcie (v. 1450-v. 1650) » dans Patrice Cressier (dir.), La Maîtrise de leau en Al-Andalus, Madrid : Casa de Velázquez, 2006, p. 125-148 ; Vincent Lemire, La Soif de Jérusalem. Essai dhydrohistoire, Paris : Publications de la Sorbonne, 2010.

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Participants

Leaders

Yvon Mullier-Plouzennec (ENSA Paris Belleville)
Solenn Guevel (ENSA Paris Belleville)